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Blues n°15 : Sur les chemins du Blues Il n'est pas dit que ce texte satisfera les érudits du Blues, mais ce n'est pas sa vocation. Cette modeste contribution va à ceux qui n’y connaissent pas grand chose, mais qui voudraient en savoir plus, ceux qui apprécient la musique en général, et le Blues en particulier, sans pour autant avoir eu l'opportunité de l’approfondir. Puisse-t-on leur rendre service car ils sont ce public sans lequel il n'y aurait ni musique, ni musiciens, et le pauvre bluesman resterait seul avec sa guitare à chanter dans le vent, ce qui reconnaissons le, serait inconvenant ! Au départ, cette synthèse vient d’une conférence que j'ai exposée au festival de Cognac en 1999 dans le cadre chaleureux de L'Olympia... J'avais ainsi un double objectif : d'abord présenter ce Blues qui me passionne à un public pas forcément connaisseur. J'ai toujours souhaité réaliser un tableau aussi clair que possible de cette musique, sans tomber dans l'érudition gratuite ; bref, une bonne vulgarisation pour faire connaître les origines, les principaux courants, les grandes figures du Blues depuis son apparition. Mon second désir était d'éviter une présentation classique et réductrice : le Blues de Chicago, de Détroit, la West Coast etc. J'ai voulu insister sur des parcours, des itinéraires qui me paraissent plus significatifs d'où ce titre qui s'est vite imposé : "Sur les chemins du Blues" Depuis, je continue à présenter mes documents, mes cartes, mes vieux enregistrements, et mes anecdotes dans les festivals, les écoles, les prisons, les bibliothèques, partout en France, pour faire partager cette passion, pour rencontrer des amateurs toujours plus nombreux. Ce sont toujours de super expériences et je me souviens avec fierté d'une conférence suivie d'un concert du groupe Swampini, à la Centrale de Poissy devant des "longues peines" prêts à tout pour s'évader un instant, et ainsi échapper à un univers carcéral particulièrement "glauque"... Je me rappelle aussi, avec émotion, ma participation au festival "Blues sur Seine" où Jean Guillermo m'avait proposé d’intervenir dans une école de quartier vraiment difficile, face à des élèves plus Rap que Blues... Les profs m'avaient prévenu : j'allais au "casse pipe "... Les questions, l'intérêt et le comportement de ces jeunes m'ont convaincu : avec de l'enthousiasme, de la passion et beaucoup de curiosité, on peut tout faire passer sur les chemins du Blues.
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Chapitre I : "Au pays du Blues" Tel un vieil adage oublié, en ce début du vingt-et-unième siècle, le Blues est partout ! Mais le sait-on vraiment ? Il suffit pourtant de jeter un coup d'œil aux multiples compiles des supermarchés, de tendre une oreille attentive aux musiques de certaines publicités, ou encore de s'intéresser à de nombreuses musiques actuelles (Rock, Rap, Funk etc.) pour s'en persuader : le Blues est bien vivant ! Pourtant, quand au début des années soixante, un jeune français du nom de Gérard Herzhaft se lançait à la découverte de ce genre musical méprisé, celui ci était encore régulièrement défini comme "l'expression bruyante d'une bande de nègres ivres" par des "rednecks" racistes et incultes... Le Blues est à l'origine, la musique des noirs du sud des États-Unis ! Il est né de la ségrégation dans les années 1870-1880, abolie officiellement dans les États du Sud en 1967. Cette période où les noirs et les blancs devaient vivre séparément, succéda à l'esclavage, lui même condamné à la suite de la victoire nordiste à la fin de la guerre de Sécession en 1865. Mais les conditions de vie des noirs désormais libres, restaient aussi terribles, voire pires, car ils ne pouvaient plus compter sur les travers paternalistes de certains propriétaires... La seule différence : cette communauté afro-américaine pouvait chanter son désespoir, son "Blues", dans les plantations du Delta. C’est dans cette région située au sud de Memphis, (et non le débouché du Mississippi sur l'océan ) qu’un creuset musical va lentement donner naissance au Blues. Dans ce grand chaudron, des gens très ordinaires, ont mêlé toutes sortes de musiques qu'ils fréquentaient au quotidien : airs de danses, ballades, work-songs, spirituels, mélodies celtiques, ballades hispaniques, chants indiens, et bien sûr, rythmes africains. Pour ces derniers ingrédients, il est intéressant de noter, que le pouvoir blanc avait interdit la pratique des tambours africains (sauf sur "Congo Square" à la New Orléans, patrie du jazz naissant...), et cet héritage fut en partie perdu notamment les structures poly-rythmiques... Au contraire, les traces de la culture Cherokee se retrouvent dans la genèse de cette musique bientôt appelée le Blues ! Toutes ces influences furent brassées, mêlées, mais toujours avec un rythme irrésistible, un swing bien balancé, qui reste aujourd'hui la principale caractéristique de ce mode d'expression populaire. Le Blues se doit de faire bouger ceux qui daignent l'écouter ! A la fin du dix-neuvième siècle, ce sont des "songsters", troubadours itinérants, qui chantent le mal de vivre de l'ensemble de la communauté noire dans le Sud ségrégationniste. Ces ancêtres des bluesmen, une guitare à la main, instrument venu d' Espagne ou du Mexique via la guerre de Cuba, résistent à un système qui les nie... Peu à peu, leurs complaintes se structurent, et deviennent des Blues, véritables poèmes chantés, généralement composés de strophes de trois versets selon ce schéma : une phrase répétée deux fois, puis sa réponse, (ce qui dénote d'une influence celtique certaine), autour de quelques accords. Avec ou sans "blue-notes", les règles sont loin d'être strictes, et, pour beaucoup, le Blues reste une musique spontanée et souvent improvisée. A l'aube du vingtième siècle, qui aurait imaginé enregistrer les chants de ces humbles travailleurs, ces mélopées de "SDF" ? Personne ! Cette forme musicale, sudiste et rurale, ne semblait pas vouée à un succès autre que local. Néanmoins un certain W.C. Handy, bien que considéré à tort comme l'inventeur du Blues, fut l'un des premiers à publier des partitions "signées" de son nom... Ainsi pouvait il s'attribuer dans la communauté noire américaine, la paternité de chansons populaires : Memphis blues, St Louis blues, Beale street blues... Il faut attendre 1920, pour que le premier Blues soit enregistré : dans un grand studio New-yorkais, une vedette blanche ne vient pas à une séance et c'est Mamie Smith, chanteuse de vaudeville qui en profite pour enregistrer crazy Blues. C'est un succès considérable ! Vient alors le temps des grandes chanteuses classiques : Bessie Smith, Ma Rainey, Chippie Hill... Le Blues fait son entrée sur le marché du disque 78 tours. La demande est si forte, que des labels fameux comme Columbia, Victor, Okeh, envoient des chercheurs de Blues, tels John et Alan Lomax, dans le sud profond des États Unis. Ce sont de véritables expéditions itinérantes pour enregistrer des artistes inconnus, pour quelques dollars ou bien une bouteille d'alcool... Certains seront aussitôt oubliés, d'autres auront la chance d'être redécouverts trente-cinq ans plus tard... Beaucoup travaillaient comme bonimenteurs dans les "Médecine Shows" et quelques-uns deviendront très célèbres ! Charlie Patton, probablement le plus fameux, alcoolique cocaïnomane notoire, est considéré comme le fondateur du Delta Blues. Tommy Johnson cède les droits de son tube du moment, contre une barrique de Whiskey... Blind Lemon Jefferson, dont on sait peu de choses (on connaît une seule photo de ce musicien, et encore ce n'est pas certain que ce soit bien lui...) sort son premier disque en 1925, et meurt de froid dans la neige à Chicago ! Blind Willie McTell hésite longtemps entre Blues et chant religieux. Bon nombre de ces musiciens sont aveugles (blind) car pour les noirs américains handicapés et pauvres, tels Blind Willie Johnson, Blind Blake et d'autres encore, chanter dans les rues était l'unique moyen de survie. La liste de ces précurseurs est longue, et, l’apport de ces musiciens à la culture afro-américaine immense : Leadbelly, bagnard guitariste découvert au terrible pénitencier d’Angola, Barbecue Bob au look de boucher, Papa Charlie Jackson fameux joueur de banjo, et tant d’autres encore ! Tous restent en marge du système ségrégationniste. Ainsi, ces musiciens quittent le travail pénible des champs de coton, pour se produire dans des "juke joints", des bars de campagne, des pique-niques, des campements d'ouvriers, partout où les noirs américains ont besoin d'oublier leur vie sordide. Cette première génération de bluesmen dont on ne sait presque rien, a enregistré de nombreux chef d'œuvres, sur des disques sans pochettes appelés "races records" destinés à la "race noire"... Dans les années trente, une deuxième génération de bluesmen prend la relève : Sleepy John Estes, Son House, Robert Johnson, personnage de légende, qui aurait vendu son âme au diable, un soir à minuit, à la croisée des chemins, le fameux "crossroads". Johnson sera une source inépuisable d'inspiration pour les Rolling Stones, Eric Clapton, Keb Mo & co. Beaucoup d'apprentis bluesmen reprendront son Sweet home Chicago qu’il situait, lui, en Californie ! Dans les années quatre-vingt-dix le coffret de son oeuvre intégrale, comprenant quarante et une prises, et vingt neuf morceaux se vendra par millions à travers le monde. Il ne reste plus qu'à découvrir un trentième titre toujours aussi mystérieux... En 1929, la crise économique frappe à la porte d'une Amérique persuadée que la prospérité est là pour toujours. Cette terrible récession oblige les populations les plus démunies à migrer, et la première destination est celle qui mène aux grandes métropoles industrielles du nord. Suite |
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